http://www.tsr.srg-ssr.ch/emission/abe/archive/98/981110.html#RZsultat
Il y a des sujets sur lesquels on aimerait
bien pouvoir tourner définitivement la page. La catastrophe de Tchernobyl
par exemple. Malheureusement, en ce qui concerne les radiations nucléaires,
les erreurs se payent sur des dizaines d'années et on en connaît
mal les conséquences à long terme, notamment sur la santé.
ABE s'est donc intéressé à un aliment qui, en matière
de pollution, a une sacrée bonne mémoire: le champignon.
l y a douze
ans, le 26 avril 1986, le réacteur de la centrale de Tchernobyl
explose et projette dans la haute atmosphère des tonnes de particules
radioactives. Aussitôt, un nuage se forme et, durant les
jours qui suivent, il se disperse à travers toute l'Europe au gré
des vents qu'il rencontre. Sur son passage, il libère en particulier
du césium 134 et 137. Ces deux composants n’apparaissent qu’au cours
d’une réaction nucléaire. La présence de césium
137 dans un organisme vivant n'est donc jamais naturelle : elle dénote
nécessairement une contamination liée à un accident
nucléaire. Aujourd'hui, on en retrouve en quantité plus ou
moins grande dans tout l'hémisphère nord.
L’automne suivant, on s'est rendu compte
que les champignons présentaient des taux d'activité radioactive
particulièrement élevés. Pire : alors que dans la
plupart des aliments, les traces de Tchernobyl s'estompaient peu-à-peu,
les analyses indiquaient que ces organismes avaient tendance à accumuler
le césium.
Les champignons
sont des organismes encore assez mal connus. La partie visible
ressemble à un fruit, mais le champignon lui-même est un réseau
souterrain de filaments à peine plus épais qu'un cheveu:
le mycélium. Ce mycélium puise sa nourriture dans la litière
en décomposition du sol. Si, au départ, les feuilles des
arbres sont contaminées, à la fin du cycle, le césium
137 est absorbé par le mycélium. Et comme un mycélium
peut vivre plusieurs années, le taux de contamination à tendance
à augmenter progressivement.
Après
avoir découvert la contamination des aliments par la catastrophe
de Tchernobyl, il a bien fallu décider quelle quantité
de césium radioactif on pouvait tolérer dans les produits
que l'on mange. Pour les champignons, la norme dans tous les pays d'Europe
de l’ouest a été fixée, un peu à la hâte,
à 600 becquerels par kilo (Bq/kg). Cette mesure donne le niveau
de radiation émise par le césium qui a contaminé le
produit.
Aujourd'hui, 12 ans après l'accident,
les champignons sauvages qu'on achète au marché devraient
être nettement en dessous de cette norme. Mais cet automne, les autorités
autrichiennes ont averti leurs homologues européens que des chanterelles
fortement radioactives étaient importées des pays de l'Est.
Les Français ont effectué des contrôles
et ils ont trouvé des lots dont la contamination dépassait
de 5 fois la norme. ABE a voulu vérifier ce qu'il en
était sur les marchés suisses.
Notre cueillette du marché a été confiée au Laboratoire cantonal de Genève. La mesure s’est effectuée sur un volume d'un litre de champignons entiers et frais. Le laboratoire dispose d’un appareil qui permet de détecter les différents éléments radioactifs contenus dans les aliments, appareil également utilisé par la défense nationale. A l'intérieur du " château ", c’est-à-dire d’un cylindre constitué d'une tonne de plomb (pour éviter que les radiations présentes dans notre environnement ne faussent les mesures), un capteur explore un à un les niveaux d'énergie correspondant à chaque composant radioactif que l'on peut trouver dans la nature. A l’aide de ce dispositif, le laboratoire a cherché la présence de césium 137 et 134 sur un total de 30 échantillons achetés un peu partout en Suisse romande.
VALAIS
Ville Lieu d’achat Champignon Origine Valeur Bq/kg
Sion
Placette chanterelles
Pologne
3
Sion
Placette
bolets
Pologne
5
Sion
Migros Métropole chanterelles
Pologne
46
Martigny Marché
chanterelles Suisse
15
Av. Gare
d’automne
Monthey Placette
chanterelles Pologne
39
NEUCHATEL
Ville Lieu d’achat Champignon Origine Valeur Bq/kg
Neuchâtel
Marché place chanterelles
France
6
des Halles
d’automne
Neuchâtel
épicerie place des cornes
Italie
3
Halles
d’abondance
Neuchâtel épicerie
rue Trésor bolets
Pologne
35
Neuchâtel épicerie
rue Trésor chanterelles
Autriche
65
Neuchâtel Migros
Hôpital chanterelles
Bulgarie
91
VAUD
Ville Lieu d’achat Champignon Origine Valeur Bq/kg
Yverdon
marché place
chanterelles
Autriche
29
d’Armes
Vevey
marché Grande chanterelles
Canada
5
Place
Vevey
marché Grande
bolets
France
5
Place
Lausanne marché
Riponne bolets
Suisse
9
Lausanne marché
Riponne pieds de mouton
France
16
Lausanne marché
Riponne lépiotes
France
2
Signy
Coop
chanterelles
Espagne
3
Etoy
Magro
chanterelles
Lituanie
41
Romanel Migros
pieds de mouton
Suisse
31
GENEVE
Ville Lieu d’achat Champignon Origine Valeur Bq/kg
Genève
marché Pâquis
chanterelles
Pologne
69
Genève
marché Plainpalais chanterelles
Pologne
50
Genève
marché bd.Helvétique bolets
Portugal
2
Onex
Coop
chanterelles
Italie
73
Genève
Coop Servette chanterelles
Bulgarie
74
Genève
Migros Balexert chanterelles
Pologne
60
FRIBOURG
Ville Lieu d’achat Champignon Origine Valeur Bq/kg
Bulle
Waro
chanterelles
Lituanie
114
Fribourg
Placette
chanterelles
Canada
8
Avry
Migros
chanterelles
Bulgarie
90
Fribourg
marché pl. Python pieds bleus
Suisse
2
Fribourg
marché pl. Python tricholomes
Portugal 491
équestres
"Les résultats que nous avons
obtenus sont conformes à ce que nous attendions", commente Claude
Corvi, chimiste cantonal genevois, "à savoir que les champignons
originaires des pays de l'Est sont plus contaminés que les champignons
qui viennent de Suisse, de France, d'Espagne ou du Canada. Cela dit, tous
les résultats sont conformes à la législation, dans
la mesure où aucun des chiffres ou aucune des concentrations mesurées
n'atteint la norme prévue pour les denrées alimentaires,
et plus particulièrement pour les champignons". Alors, puisqu’on
est dans la norme, y a-t-il une réelle différence ? "En fait,
si j'avais à choisir", continue Claude Corvi, "je choisirais les
champignons d'origine européenne, suisse, française ou espagnole,
dans la mesure où ils ont une radioactivité bien moindre
que les champignons d'Europe de l'est, cela va de soit.
Mais alors que penser des tricholomes
équestres en provenance du Portugal, qui affichent une valeur de
491 bq/kg, la plus grande valeur de notre test? Toujours d’après
Claude Corvi, l’hypothèse la plus vraisemblable est que ces champignons
ne proviennent pas du Portugal, mais d’un pays de l’Est. Cela signifierait-il
que le consommateur ne peut plus se fier aux indications du vendeur? "En
principe, le vendeur est quelqu'un d'honnête, qui donne les origines
correctement. Mais par le biais de l'organisation du commerce telle qu'elle
est conçue aujourd'hui, nous avons de multiples importateurs, grossistes,
revendeurs... Et il se peut que l'information soit perdue en cours de route".
Ca, c'est vraiment embêtant! Parce
que les champignons des pays de l'Est, on en vend beaucoup. Cette année,
les statistiques des douanes montrent que plus de 20% des champignons frais
importés en Suisse viennent d'Europe de l’est, soit près
de 1 sur 4. Donc, si à partir de demain, les champignons des pays
de l'Est disparaissent mystérieusement des marchés, méfiez-vous.
Cela dit, la loi oblige les vendeurs à afficher une provenance.
Les chimistes cantonaux font des contrôles et les fraudes sont punies.
Et même si les champignons les plus contaminés du test restent
dans la norme légale, ABE a quand même voulu savoir quels
risques on court si on les mange.
Lorsqu’on ingère des champignons contenant du césium 137, ce césium va passer de l’intestin dans le sang, en suivant les mêmes circuits que le potassium, qui est lui-même un élément que l'on retrouve à l'intérieur des cellules. Le césium se répartit dans l'ensemble du corps avant de commencer à être éliminé par voie urinaire et par les selles. 50% de l'élimination se fait en l'espace de deux à trois mois. "Contrairement à d’autres composés radioactifs, l’organisme ne stocke pas le césium", affirme le Dr. Marcel-André Boillat, professeur à l’Institut de Santé du Travail, "Mais il y a quand même un principe qu'on cherche toujours à appliquer en médecine lorsqu'il s'agit de radiations: faire tout ce qu'on peut pour diminuer l'exposition des gens. Parce que quand on essaye d'évaluer les risques, on additionne en somme les différentes sources de radioactivité. Même pour les médecins qui utilisent des examens radiologiques, on sait que d’énormes progrès ont été faits pour limiter le plus possible l'irradiation des gens. Ce principe, il est bien de l'appliquer aussi pour les champignons. Alors si j'ai le choix, je prendrai, bien sûr, les moins radioactifs".
On l’a vu, les champignons testés
sont tous en dessous de la norme de 600 Bq/kg. Mais en même temps,
les médecins disent qu'il vaut mieux prendre les moins contaminés.
On est alors en droit de se demander à quoi sert cette norme. En
fait, il s’agit d’une norme technique, et non médicale: ça
n'est que la mesure des radiations nucléaires émises par
le cesium. Mais la dose à laquelle on s’expose dépend de
la quantité d’aliments mangés et de la fréquence à
laquelle on les mange. Cette norme est une exception pour les champignons
et la chasse, car ce sont des produits saisonniers et qu'en principe, on
en consomme peu. Mais pour le lait par exemple, ou d'autres aliments courants,
cette norme est de 10 Bq/kg maximum. Si cette même valeur s’appliquait
aux 30 champignons de notre test, 18 seraient éliminés.
La fixation de la norme à 600 Bq/kg
est un compromis entre la volonté de ne pas interdire le commerce
des champignons et un risque acceptable pour la santé publique:
on a une idée de la dose critique, en particulier en ce qui concerne
l'augmentation des cancers, suite notamment aux études qui ont suivi
les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Il y a une marge, mais il
y a un risque, et on a décidé d'admettre ce risque.
Logiquement, avec le temps, on devrait
rendre la norme plus sévère. Or, c’est la tendance inverse
qui se dégage: on redoute en effet que les sous-marins atomiques
de l'ex-flotte soviétique, qui sont en train de rouiller dans les
ports, ne coulent et lâchent dans l'environnement de nouvelles radiations.
Car dans la nature, sans contamination, les champignons ne contiennent
pas de césium. La norme idéale devrait donc être de
zéro. Mais depuis les années 50-60, quand les puissances
nucléaires ont effectué leurs premiers essais atomiques dans
l'atmosphère, il n'existe aucun coin de la planète qui ne
soit pas contaminé, ni aucun aliment qui ne soit exempt de radiations
nucléaires. Cela étant, il faut savoir que les champignons
ne sont pas tous sensibles au césium de la même manière:
il existe des groupes à risques.
Dans les jours qui ont suivi la catastrophe
de Tchernobyl, tous les pays européens ont informé leur population
à propos de la contamination. Tous sauf un seul: la France. Comme
si le nuage radioactif s'était arrêté à la frontière.
Pour briser le mutisme officiel, des scientifiques ont alors effectué
pour leur propre compte des mesures de radioactivité. Ces initiatives
ont donné naissance à la CRII-RAD, la Commission de recherche
et d'information indépendantes sur la radioactivité, basée
à Valence (Drôme). En 12 ans d'études, la CRII-Rad
a constaté que certaines espèces de champignons avaient tendance
à stocker plus de césium que d'autres.
L’année dernière, la CRII-RAD
a publié une plaquette dans laquelle les champignons sont classés
par catégorie de risque. En général, les espèces
faiblement contaminées sont celles qui poussent dans les prés,
les clairières et les pâturages. Ce sont par exemple le coprin
chevelu, le rosé des prés et d'une façon générale
toute la famille des agarics. Enfin, bonne nouvelle: la morille appartient
aussi à ce groupe.
Parmi les espèces modérément contaminées, on trouve d'abord le cèpe de Bordeaux. On peut y ajouter la plupart des représentants de la famille des bolets. Dans ce groupe, on rencontre également la trompette des morts (ou corne d'abondance), le lactaire délicieux et, peut-être la plus célèbre, la chanterelle commune.
Enfin, certaines espèces paraissent stocker plus facilement le césium. Cela tient probablement à des facteurs comme la profondeur du mycélium dans le sol ou le type d'arbre sous lequel pousse le champignon. Parmi les plus courants, on y trouve le pied de mouton et la chanterelle d'automne, mais aussi le bolet à chair jaune, de même que le laqué améthyste (ou violet).
Si vos champignons préférés figurent dans ce dernier groupe, pas de panique: notre test indique qu'à la frontière suisse, les contrôles semblent plutôt efficaces.
Reste le cas des champignons que l'on cueille soit même. Pour Jean-Louis Demarets, de la CRII-RAD, "si les contrôles sont bien faits, celui qui va acheter des champignons sur le marché ne va pas courir un risque très important: ce sera, disons, dans les normes. Mais "dans les normes" ne veut pas dire inoffensif. Par contre, celui qui va ramasser lui-même ses champignons doit être informé, d'autant plus qu'il passe à travers ce système de contrôle. Là, il faut éviter les espèces les plus contaminées".
Les champignonneurs qui voudraient connaître le taux de contamination de leur coin de forêt se référeront à la carte des retombées de césium 137 après Tchernobyl. Nous publions également la classification détaillée des champignons selon leur taux de contamination, établie par la CRII-RAD.
Bonne cueillette
et bon appétit!
Copyright:TSR 1998